- UNDERGROUND (CINÉMA)
- UNDERGROUND (CINÉMA)UNDERGROUND CINÉMALe terme de cinéma underground est né aux États-Unis, à la fin des années 1950, pour désigner les films qui ont une existence «souterraine», c’est-à-dire qui ne sont pas programmés dans les circuits commerciaux. Depuis que le cinéma existe, nombre de films ont été réalisés en marge de la production normale, par des artistes, des écrivains ou des cinéastes qui, affranchis de la nécessité première de raconter une histoire, ont trouvé dans le cinéma un moyen d’expérimenter des formes esthétiques, ou d’articuler une fantasmatique originale; citons les avant-gardes (les plus remarquables étant celles des années 1920) et les films expérimentaux.Ce qui distingue l’underground de cette tradition du cinéma «indépendant», c’est d’abord son mode de production: la généralisation sur le marché, depuis la Seconde Guerre mondiale, des formats substandards de pellicule (16 mm, 8 mm), réduisant le budget des films, permet aux cinéastes de produire eux-mêmes, alors que les films d’avant-garde antérieurs, tournés toujours en 35 mm, avaient besoin de producteurs ou de mécènes. De là découlent nombre de caractéristiques du cinéma underground, même si, bien sûr, certains films sont tournés en 35 mm.Produit de manière indépendante, et presque toujours à perte — fondée en 1962 par un groupe de cinéastes expérimentaux, la Film Makers’ Cooperative jouera ici un rôle capital —, il est totalement libéré des règles esthétiques de la production commerciale: rares sont les films produits dans ce circuit qui aient une durée standard (A Miracle , 1954, de Robert Breer, dure 14 secondes, Empire , 1964, d’Andy Warhol, 8 heures), qui racontent une histoire suivie ou utilisent des acteurs professionnels (comme exceptions, on peut citer Echoes of Silence de Peter Goldman, ou les films parodiques des frères Kuchar; encore les normes narratives hollywoodiennes n’y sont-elles pas respectées).L’underground s’apparente au film d’amateur et au film de famille; il s’en distingue cependant, dans la mesure où il n’utilise pas l’image comme trace ou comme souvenir, mais pour des constructions formelles ou imaginatives. La légèreté et la maniabilité du matériel 16 et 8 mm permet au cinéaste underground de contrôler plus facilement la fabrication de son film à tous les stades: tournage avec une équipe réduite, laboratoire (certains réalisateurs, tel l’Italien Piero Bargellini, développent eux-mêmes leurs films), montage (le cinéma underground a longtemps affectionné le montage ultracourt, qui l’a fait parfois dénommer «hachis optique»).Ainsi, le cinéma underground n’est ni un genre (il n’a pas de sujets définis), ni un style (celui-ci dépend des objectifs du réalisateur). On peut pourtant repérer certaines tendances et des constantes.Affranchi de toute censure, l’underground est parfois proche du cinéma pornographique: la nudité et l’acte sexuel peuvent y être montrés avec une crudité ou une littéralité interdites au cinéma normal. Mais il s’agit là d’une proximité, et non d’une fusion (ainsi, Blue Movie d’Andy Warhol, 1968, peut être décrit comme un film expérimental sur les rapports du corps et de la parole). Cet affranchissement du marché et de la censure autorise certains cinéastes à faire de leurs films la représentation, confidentielle ou emphatique, de leurs désirs (par exemple les tendances homosexuelles de Fireworks , 1947, de Kenneth Anger). Œuvres de cinéma, les films underground sont aussi, souvent, des films sur le cinéma; nombre d’entre eux expérimentent à tous les niveaux le matériau cinématographique: l’image (déformations par lentilles, surimpressions, collages, peinture et gravure sur pellicule, entre autres), le montage (par exemple, montage ultracourt, plans-séquences, ponctuations par fondus). Essentielle, de ce point de vue, est l’œuvre de Stanley Brakhage qui, en plus de cent films, élabore une véritable phénoménologie de la vision (Anticipation of the Night , 1958; The Art of Vision , 1965; Scenes from Under Childhood , 1967-1970). De même, beaucoup de films de Warhol sont des commentaires sur l’histoire du cinéma; Tom Tom, the Piper’s Son de Ken Jacobs (1969) élabore explicitement une théorie du cinéma par le biais de la projection d’un film à vitesses diverses.Presque tous les films politiques et militants sont, eux aussi, autoproduits. Pourtant, rares sont les films underground qui s’y apparentent. On peut cependant citer les protest films : Breathdeath (1963) de Stan van Der Beek (sur la guerre nucléaire), Oh! Dem Watermelons! (1965) de Robert Nelson (sur la ségrégation), The Brig (1964) de Jonas Mekas (sur les brutalités militaires). Les tendances les plus marquées sont le libéralisme et l’anarchisme.Dans le courant des années 1980, l’underground a connu une évolution très sensible: aux États-Unis, certains cinéastes sont devenus de véritables vedettes; ainsi, Andy Warhol, qui s’entoure (pour The Chelsea Girls , 1966, ou Lonesome Cowboys , 1968) de toute une équipe d’acteurs (Viva, Dallesandro, Waldon) et de techniciens, avant de produire les films que réalise son opérateur Paul Morrissey (Flesh , 1968; Trash , 1970; Love , 1970). Né aux États-Unis, le cinéma underground est alors pratiqué en Europe, de manière parfois très originale; on peut penser, de ce point de vue, à Morte all’orecchio di Van Gogh (1968) et à Trasferimento di modulazione (1969) de Piero Bargellini, ainsi qu’aux films du Français Philippe Garrel: Marie pour mémoire (1967), La Cicatrice intérieure (1971), Athanor (1972), La Concentration (1975), ou aux œuvres rares de Patrick Bokanowski (La Femme qui se poudre , 1970-1972; L’Ange , 1977-1982), créateur d’un univers où le merveilleux et le cauchemardesque se composent.À partir des années 1970, et avec l’apparition de nouvelles techniques — images vidéo ou de synthèse, manipulation électronique d’images télévisuelles — le cinéma underground tend à perdre sa dimension spécifiquement américaine pour se fondre à nouveau dans un courant plus large, et, lui, international; celui qui caractérise le cinéma expérimental.
Encyclopédie Universelle. 2012.